Patrick Montel : « Le sport devient dérisoire »

La célèbre voix de l'athlétisme, ambassadeur des Meetings de Mondeville et Hérouville, nous livre sa vision sur la période inédite que nous vivons. Entre sport et société, c'est le regard de Patrick Montel.

Patrick, au vu du contexte sanitaire, le report des Jeux Olympiques de Tokyo était-il inévitable ?

Oui. Je pense que dans les moments d’urgence et d’interrogation que nous traversons, le sport devient dérisoire et futile. Je ne parle pas du sport santé qui lui est plus important que jamais mais bien du sport de compétition. Cela aurait été une hérésie de maintenir les Jeux Olympiques ou d’autres compétitions sportives. Le CIO (Comité International Olympique) a pris une bonne décision. Elle était peut-être un peu tardive mais les enjeux financiers sont tels que l’on peut le comprendre.

Les championnats d’Europe doivent se tenir à Paris du 25 au 30 août, est-ce raisonnable de les maintenir ?

Bien sûr que non. Ce qui vaut pour les Jeux Olympiques vaut aussi pour les championnats d’Europe. Aujourd’hui, personne n’est capable de donner une date de sortie dans cette crise. Tant que l’on ne sera pas sorti du confinement et du post-confinement, il est irresponsable d’imaginer l’organisation d’un événement qui réunit plusieurs milliers de personnes. On ne sait pas combien de temps cette situation durera mais il me paraît difficile d’envisager la tenue de cet événement à la fin du mois d’août.

Quel est l’impact de cette crise pour les athlètes ?

Les athlètes sont avant tout des êtres humains. Ils ont prouvé par leurs réactions qu’ils se préoccupent d’abord de leur santé et de celle de leurs proches avant de penser aux performances. Cela me semble très bien. Les athlètes ont réagi comme des citoyens responsables. Les discours ont été les mêmes à savoir que dans des moments d’urgence, quand la vie des gens est en péril, tout le reste n’a pas d’importance. Le sport n’existe que lorsqu’il n’y a pas de guerre. Nous sommes en guerre contre un ennemi invisible et insidieux, dans ce contexte le sport n’a pas de raison d’exister.

En termes de préparation et d’objectifs, comment gère-t-on cette période ?

Je pense qu’il y a quand même des moyens de rester en forme même si, à l’image de la société, il y a plusieurs vitesses. Il y a ceux qui sont à la campagne, qui ont de l’espace, du matériel pour travailler et il y a ceux qui sont confinés au sens strict. Je pense que pour eux la situation ne doit pas être facile tous les jours et encore plus s’ils ont une vie de famille. Je ne me fais pas de souci pour les athlètes car ils connaissent leurs corps. Ils savent qu’ils peuvent maintenir un minimum de préparation physique avec des exercices à poids du corps par exemple. Contrairement à un individu lambda, l’éducation athlétique permet de rester à l’abri d’une prise de poids excessive ou de tomber dans la sinistrose.

Selon vous, aurait-on dû mettre en place des mesures pour permettre aux athlètes de haut niveau de s’entraîner ?

S’il y a des gens qui doivent être considérés d’une manière particulière, qui doivent être protégés et pour qui l’on doit réquisitionner des locaux ce sont en priorité les personnels soignants. Il y a aussi tous ceux qui nous permettent de manger et de vivre dans une hygiène cohérente. Je pense aux éboueurs, aux caissières dans les supermarchés, à tous ceux qui nettoient nos rues et qui méritent, aujourd’hui, plus d’intérêt que les sportifs. Le sens des priorités est complètement inversé. Il faut d’abord penser aux gens qui sauvent des vies avant de penser à ceux qui réalisent des performances sportives.

Vous pensez que certaines choses doivent évoluer ?

Lorsque l’on sortira de cette crise, peut-être que l’on pensera le modèle de vie, le modèle économique, le modèle social et aussi le modèle de performance différemment. On s’apercevra peut-être que la performance en elle-même n’est pas si importante. Ce qui est important dans le sport, c’est d’abord d’être en bonne santé et d’appréhender son corps soi-même, pas forcément de battre quelqu’un. Peut-être que l’on sortira de ce système de performance de haut niveau et peut-être que ceux qui prônent l’immanence de la performance en cette période reviendront sur leurs propos.

Aujourd’hui, les sportifs de haut niveau ce sont les urgentistes, les infirmières, les éboueurs, les caissières… Ce ne sont pas les athlètes olympiques.

En cette période de confinement, quel regard portez-vous sur cet engouement des Français pour la course à pied ?

Je m’en réjouis ! Je pense qu’il y a quelque chose de positif lorsque celui qui se sent étouffé chez lui ressent le besoin de pratiquer une activité physique et qu’il réalise à quel point elle est indispensable pour son équilibre mental. Si cela se fait dans le respect des règles, je trouve que c’est une bonne chose que des gens découvrent l’effort physique à l’occasion du confinement. En tout cas, j’espère que leur mémoire intégrera cette nécessité de bouger et d’écouter son souffle.

À titre personnel, comment vivez-vous cette période ?

Je la vis d’une manière intense car je pense qu’il s’agit d’un rendez-vous historique important qui nous pousse à réfléchir sur notre avenir. J’ai eu la chance de vivre mai 68, c’était une pseudo-révolution mais elle remettait en branle pas mal d’idées qui étaient ancrées en nous. J’ai l’impression de revivre autre chose. Quelque chose qui remet en question tout ce sur quoi l’on pensait important de capitaliser : la consommation et la production à outrance, la mondialisation, le profit absolu… Toutes ces choses sont remises en cause parce que l’on s’aperçoit que la nature nous dit stop. Nous comprenons que les bactéries et les virus sont beaucoup plus forts que nous.  

Quel est l’impact sur votre quotidien ?

Comme tout le monde je reste à la maison. Même si cette période n’est pas agréable, je la vis avec beaucoup d’intérêt car je pense que demain les choses seront différentes. J’espère que la jeune génération va prendre conscience de tout ça. Depuis le confinement, le silence remplace le bruit des voitures, j’entends les oiseaux le matin, la pollution a disparu… Je me rends compte que l’on avait oublié tout ça. C’est un moment intéressant à condition d’en tirer les conséquences.

 

Il faut vivre cette période de façon citoyenne en étant responsable de nos actes. C’est bien de s’en remettre à l’État en permanence mais je pense qu’il faut aussi s’en remettre à soi-même. Nous sommes tous responsables de notre devenir. Ceux qui font n’importe quoi devront faire leur autocritique une fois que cette situation sera terminée. Le danger est réel et la bataille ne fait que commencer.

 

Pour l’AOMH, Malcolm Duquesney