Timothée Adolphe et le grand défi du handisport

Médaillé lors des derniers mondiaux, celui que l'on surnomme le guépard blanc nous parle de cette période particulière et du grand défi qui attend le handisport en 2024.

Timothée, comment avez-vous vécu ces dernières semaines ?

 

J’étais en stage de préparation à la Réunion lorsque le confinement a été annoncé. Il a fallu s’adapter et lorsque nous sommes rentrés fin mars chacun s’est confiné de son côté. J’ai poursuivi la préparation tant bien que mal dans l’espoir que les Jeux soient maintenus. Le travail sur vélo (explosivité, lactique, aérobie…) m’a permis de maintenir un entraînement régulier. Avec le report de Tokyo nous avons décidé de lever le pied. Depuis quelques jours les entraînements ont pu reprendre pour tout le monde sauf les athlètes guidés.

 

On imagine que le respect de la distanciation sociale est un enjeu majeur pour vous ?

 

C’est une mesure sanitaire que l’on ne peut pas respecter. C’est un peu frustrant de ne pas pouvoir y retourner comme tout le monde mais je prends mon mal en patience. On comprend les enjeux sanitaires et cela aide à relativiser. J’espère que je vais pouvoir reprendre l’entraînement avec mon guide début juin. Je suis satisfait de l’entraînement que nous avons pu mettre en place pendant cette période. Je sais que le vélo est une bonne alternative pour l’avenir mais en tant que sprinter j’ai besoin de rechausser les pointes et de retrouver la piste rapidement.

 

Qu’est-ce qui a été le plus difficile ?

 

C’était une année très importante sportivement, ce n’est pas facile de voir les objectifs disparaître les uns après les autres. Socialement ce n’était pas simple non plus même si j’ai eu la chance d’être à la campagne et d’avoir pu profiter de ma famille. Par rapport à d’autres je n’étais pas le plus à plaindre.

  

Vous sortez d’une belle saison avec un titre mondial sur 400 m (50’’91) et une médaille d’argent sur 100 m (11’’03). Quelle distance affectionnez-vous le plus ?

 

Le 200 m a été supprimé pour nous au niveau international, c’est une déception car j’avais de bonnes choses à faire sur cette distance. On n’a pas l’habitude de voir des athlètes doubler 100 m et 400 m mais le test à Dubaï a été concluant. Nous avons déjà identifié les axes de progression pour tenter de remporter le titre sur 100 m et de poursuivre la progression sur 400 m.

 

La médaille olympique est la seule qui manque à votre palmarès, c’est votre prochain grand défi ?

 

C’est vrai que nous avons eu la chance d’être sur le podium national, européen et mondial. En athlétisme, le grand rendez-vous reste les Jeux Olympiques. Je sais que nous aurons les jambes pour aller chercher une médaille à Tokyo l’an prochain. Il y a une bonne dynamique dans le groupe, tout le monde tire dans le même sens.

 

À 30 ans vous êtes à votre meilleur niveau, arrivez-vous à vous projeter vers la suite de votre carrière ?

 

Je suis très concentré sur Tokyo, je prends les objectifs comme ils viennent même s’il est vrai que j’ai émis le souhait de poursuivre au moins jusqu’à Paris 2024. Les interrogations se situent plutôt au niveau des partenaires. Les contrats seront-ils renouvelés jusqu’à Tokyo ? Puis Paris ? Cela fera partie des discussions que nous aurons dans les prochaines semaines. Sportivement, j’ai un adversaire brésilien sur 400 m qui a 39 ans alors cela me laisse peut-être entrevoir Los Angeles 2028 (rire). Il faut que je prenne soin de mon corps si je veux encore jouer les podiums pendant quelques années.

 

Avez-vous une réflexion par rapport à ce que nous venons de vivre ?

 

Je pense que cette période nous ramène à notre condition d’être humain. Nous ne sommes pas au-dessus de tout. Cela nous rappelle également un certain nombre de valeurs que nous avions oublié et l’importance du lien social dans une société où beaucoup sont dans une démarche très individualiste. Il y a des corps de métier qui sont indispensables et qui n’ont peut-être pas été reconnu à leur juste valeur. En tant que sportif cela fait aussi réfléchir. Nous sommes parfois nombrilistes, il ne faut pas toujours être centré sur soi-même mais être davantage à l’écoute de l’autre.

 

Selon vous, le handisport a-t-il la place qu’il mérite dans notre société ?

 

Lorsque Tokyo a été reporté, les médias ont presque tous parlé des Jeux Olympiques en oubliant totalement les Jeux Paralympiques. Cela ne paraît pas très compliqué à rajouter… Quand une ville organise cet événement elle accueille les deux. Parfois j’ai l’impression que l’on avance bien et parfois j’ai l’impression de retourner 20 ans en arrière. Il y a encore énormément de boulot pour organiser de beaux Jeux chez nous dans quatre ans. En athlétisme, nous avons la chance d’avoir une lecture des catégories relativement simple par rapport à d’autres sports. Nous avons besoin de personnes qui maîtrisent le sujet pour expliquer les choses simplement. Je regrette que Patrick Montel ait été mis sur la touche car c’est quelqu’un qui connaît le handisport et qui a beaucoup milité pour nous mettre en avant.

 

Paris 2024 est un grand défi pour le handisport ?

 

La barre est très haute car les Anglais ont organisé une très belle édition en 2012, Tokyo devrait aussi tenir toutes ses promesses l’an prochain. En France, il faudra surtout faire évoluer les mentalités sur le long terme. Je pense que passer après Tokyo ne sera pas une mince affaire mais en tant que Français j’ai envie que mon pays organise un bel événement. Nous en avons les compétences mais serons-nous en capacité de remplir les stades pour les Jeux Paralympiques ?

 

 

Pour l’AOMH, Malcolm Duquesney